[Chapitre 3] L’évolution des synthétiseurs et de l’approche de la production musicale

Le SY77 est dévoilé en 1989. Il offre des possibilités expressives impressionnantes grâce à des filtres numériques de conception nouvelle qui répliquent le comportement des synthétiseurs analogiques. Cet instrument est vraiment représentatif des synthétiseurs des années 90. Commercialisé en 1991, le SY99 va encore plus loin, en proposant des possibilités de création de son plus poussées, et fait progresser considérablement le concept de synthétiseur de production musicale, préfigurant déjà ce que serait plus tard la série MOTIF.

[Chapitre 3] Evolution of Tone Generator Systems & Approaches to Music Production

L’arrivée de la synthèse basée sur échantillons

photo:SY77

Dans la foulée du développement de la synthèse FM, Yamaha fait évoluer au fil des années 80 ses synthétiseurs aux technologies numériques. Grâce à des progrès importants dans le domaine des circuits intégrés, nous avons pu commercialiser des produits proposant de nouvelles fonctionnalités très variées. Une partie de cette approche a impliqué le développement de technologies permettant l’enregistrement numérique de vrais sons d’instruments acoustique, sous la forme d’échantillons, pour les utiliser comme matériau de base dans les circuits de génération sonore. Batterie, percussions, effets et bruitages possèdent une durée assez réduite, ce qui facilite leur échantillonnage. Il est donc plus facile de les recréer en les lisant depuis la mémoire, et ainsi éviter de les générer de manière synthétique. Yamaha a commencé à utiliser la synthèse basée sur échantillons au format numérique PCM (Pulse Code Modulation) dans les boîtes à rythmes, les Electones et dans d’autres produits similaires au fil des années 80. Sur les instruments Yamaha, ce type de synthèse s’appelle AWM (Advanced Wave Memory).

Pour autant, ce type de génération sonore ne se limitait pas aux sons rythmiques. Il permettait également de relire des échantillons enregistrés sur des pianos, guitares et autres instruments dont le son possède une certaine durée naturelle, ainsi que des instruments aux sons tenus, comme l’orgue en particulier. Toutefois, le mode principal d’utilisation s’apparentait à celui d’un échantillonneur : on relit tels quels des sons d’instruments enregistrés au préalable, sans les utiliser dans des synthétiseurs comme base de création sonore.

Il s’est révélé particulièrement difficile de développer des filtres numériques dont le comportement se rapproche des filtres utilisés en synthèse analogique. Bien sûr, à l'époque, on maîtrise déjà parfaitement la théorie et les formules mathématiques décrivant le fonctionnement de ces circuits analogiques. Mais une fois répliqués par un circuit numérique, on s’apercevait que leur comportement était bien moins progressif que celui de vrais filtres analogiques. Les développeurs éprouvaient notamment bien des difficultés à donner du caractère à la « résonance » électronique, un aspect tout à fait propre aux synthétiseurs analogiques. D’autres fabricants avaient déjà commercialisé des instruments équipés de filtres numériques, mais la plupart n’étaient pas convaincants. En fait, beaucoup ne proposaient même pas la résonance, tandis que d’autres n’arrivaient qu’à recréer de façon artificielle ce comportement unique des filtres analogiques.

À cette époque, Yamaha avait en fait développé un filtre numérique capable de reproduire le comportement d’un filtre analogique. Très attendu, il fit ses débuts dans notre synthétiseur numérique SY77, présenté en 1989. Le SY77 embarquait à la fois un générateur de sons de type AWM et un générateur de sons FM, tous deux utilisables avec le filtre numérique, ce qui permettait de mettre en forme des sons dotés d’une remarquable expressivité. Ces deux nouvelles approches de synthèse sonore furent respectivement baptisées Advanced Wave Memory 2 (AWM2) et Advanced Frequency Modulation (AFM). Grâce à ce côté hybride, combinaison d'échantillonnage et de synthèse FM, le SY77 permet de créer des sons très intéressants et offre de nombreuses fonctionnalités novatrices. Par exemple, on peut parfaitement utiliser les formes d’ondes PCM du générateur AWM2 comme signal d’opérateur dans le générateur de sons AFM.

La fréquence de coupure et les paramètres de résonance du filtre numérique pouvaient également se contrôler par l’intermédiaire de la vélocité et de l’aftertouch du clavier. L’ensemble de ces fonctionnalités était désigné sous l’acronyme RCM (Realtime Convolution & Modulation). Grâce à son filtre numérique très doux et à la combinaison de l'échantillonnage PCM et de la synthèse FM – les deux technologies phares de synthèse numérique à l’époque), le SY77 semblait presque trop beau pour être vrai lors de son lancement. En fait, il annonçait toutes les avancées des années 90 dans le domaine des technologies de synthétiseurs.

photo:Left: From the cover of the SY77 catalog   Right: An explanation of RCM tone generation, taken from the SY77 owner's manual

À gauche : Extrait de la couverture de la brochure du SY77. À droite : Schéma explicatif de la synthèse RCM, tiré du manuel utilisateur du SY77.

La capacité multitimbrale

photo:TG55

TG55

Un autre aspect remarquable des synthétiseurs des années 90 fut le développement des générateurs de sons multitimbraux. La capacité multitimbrale désigne la possibilité qu'a un instrument de générer différents types de sons simultanément – une particularité indispensable en production musicale.

Même si elle n’est pas toujours indispensable pour un musicien sur scène, cette fonction permet de jouer en même temps des sons très différents : par exemple, batterie, basse, piano et parties solo. Cette fonctionnalité a commencé à être appréciée à partir de la seconde moitié des années 80, avec l’essor des séquenceurs MIDI. Il suffisait alors d’un seul synthétiseur multitimbral pour jouer tout un arrangement musical. En toile de fond, la possibilité de créer des démos complètes, des playbacks ou des parties préarrangées par-dessus lesquelles jouer en direct. Même si on trouvait déjà des synthétiseurs ou expandeurs multitimbraux dès l’ère FM quelques années auparavant, l’apparition de synthétiseurs capables de générer des sons de haute qualité et d’un grand réalisme grâce à la synthèse AWM2 (ou autres) suscita beaucoup d’attention. Ce fut le début d’une compétition acharnée entre les différents fabricants de synthétiseurs pour proposer des produits toujours plus accessibles, capables de jouer davantage de notes (ou ‘voix’) et d’offrir un plus grand choix dans les variations sonores.

Avant l’apparition des modules multitimbraux, si vous souhaitiez générer plusieurs parties d’arrangements avec un séquenceur MIDI, il fallait dépenser des milliers d’euros pour acheter suffisamment de synthétiseurs permettant générer le nombre de voix désirées.
Désormais, un seul module multitimbral suffirait à produire simultanément tous ces sons. Divers fabricants proposèrent des modules de sons offrant une capacité multitimbrale de 8 parties. Notre TG55 sortait déjà du lot, puisqu’il offrait pas moins de 16 parties simultanées, à l’instar des workstations SY77 et SY55 : des instruments révolutionnaires, qui ont sans aucun doute contribué à augmenter considérablement le nombre de musiciens produisant leur musique.

L’évolution des synthétiseurs PCM

photo:SY99

À mesure que les générateurs de sons basés sur les technologies d'échantillonnage gagnaient en popularité, les fabricants de synthétiseurs se sont mis à présenter différents types d’instrument basés sur des générateurs de sons PCM. Sur un marché de plus en plus compétitif, Yamaha répondit en améliorant la technologie de synthèse AWM2 développée pour le SY77 et en explorant différentes autres applications.

Commercialisé en 1990, un an après le SY77, le SY55 représentait une avancée technologique significative : il permettait d’utiliser simultanément quatre composants, désignés sous le nom d’« éléments », chacun produisant des sons basés sur des formes d’ondes échantillonnées. Cette approche permettait de sculpter des sons d’une façon très artistique et inventive. Par exemple, on pouvait créer un son original en combinant l’attaque d’un piano et le soutien d’une flûte, ou assembler une section de cuivres virtuelle à partir de sons de trombone, sax alto et sax ténor.

En parallèle avec ces développements, les effets audio ont aussi connu une évolution accélérée grâce à l’adoption des technologies numériques. Résultat : les synthétiseurs intégraient désormais des effets de qualité identique à celle des multieffets dédiés utilisés en studio, permettant d'améliorer encore la qualité des sons créés.

Le SY99, commercialisé en 1991, offrait la possibilité d’échantillonner des sons externes pour les utiliser dans son générateur de sons AWM2. Grâce à cette nouveauté et à toutes les possibilités d’évolution et de création sonore, le SY99 a clairement marqué le monde des synthétiseurs PCM. En fait, cette conception de générateur AWM, apparue dans la première moitié des années 90 avec le concept d’éléments et autres termes assimilés, est toujours utilisée dans nos instruments de la série MOTIF.

L’aube de l’ère des workstations

photo:Images from the Yamaha digital instrument catalog. From the top, the 1994, 1993, and 1992 editions

Images tirées de catalogues instruments numériques Yamaha. À partir du haut, éditions 1994, 1993 et 1992

À partir du début des années 90, les séquenceurs MIDI comme la série QX, utilisés depuis le milieu des années 80, vont laisser progressivement la place aux logiciels fonctionnant sur ordinateur personnel. En studio d’enregistrement, il est alors de plus en plus commun de déployer des systèmes complexes articulés autour d’une interface MIDI reliée à un ordinateur : des racks d’expandeurs, des synthétiseurs, des échantillonneurs et un clavier maître permettant d’entrer les données MIDI, le tout interconnecté par des dizaines de câbles MIDI. Pour utiliser de telles configurations de production musicale, il faut de solides compétences en informatique et une connaissance experte des techniques de programmation des modules de sons de fabricants différents. Jouer sérieusement des claviers devenait donc plus difficile. C’est à peu près à cette époque que le développement des synthétiseurs se scinde en deux branches, en fonction de ce que l’on demande à l’instrument.

La première branche vise tous ceux qui se servent d’un synthétiseur comme générateur de sons. Certaines applications utilisaient des générateurs de sons joués par des guitares-synthés ou des contrôleurs de type instrument à vent, mais la tendance principale était de les intégrer à une configuration basée sur un ordinateur. Pour répondre à ces besoins, Yamaha commercialisa une gamme d’expandeurs rackables ou à poser sur un bureau : la Série TG.

La deuxième branche envisage le synthétiseur comme une station de travail musicale complète, apte à satisfaire les exigences d'un claviériste et d’un arrangeur. Ce format devint rapidement le plus répandu. Les musiciens pouvaient jouer tout un morceau sans sortir de leur instrument, et sans utiliser d’ordinateur. Un seul appareil permettait alors d’élaborer une production musicale complète, sans câblage compliqué, en conservant toute l'inspiration offerte par des sons de haute qualité. Le morceau final était digne d’une production de studio. Le SY99, que nous avons déjà mentionné, rassemblait tous ces éléments et fut considéré comme le fleuron des claviers des années 90. C'est cette gamme SY qui fut à l’origine des synthétiseurs Yamaha d’aujourd’hui.

À la recherche de nouvelles techniques de synthèse

photo:The VL1 prototype, created with a wood grain panel based on the SY77

Prototype du VL1, avec un panneau en imitation bois basé sur celui du SY777

Lorsque les synthétiseurs numériques passèrent de la synthèse FM à la génération de sons d’après formes d’ondes en PCM, leur évolution s’accéléra, toutes marques confondues. Le prix des mémoires diminuait sans cesse, d’où un nombre toujours plus important de sons préprogrammés mis à la disposition de l’utilisateur, mais aussi une augmentation de la quantité de mémoire ROM allouée aux formes d’ondes échantillonnées. Au final, les prix des instruments baissaient, les possibilités croissaient, et les différences entre instruments de marques distinctes s’amenuisaient. Dans ces circonstances, les ingénieurs de l’équipe de développement des synthétiseurs Yamaha se trouva confrontée à un problème crucial : trouver un autre procédé de synthèse sonore pour remplacer les sons PCM que tout le monde proposait alors. La tâche n’avait rien de facile : il fallait trouver quelque chose d’autre que l’analogique, le PCM ou la FM, les trois technologies encore principalement utilisées à l'heure actuelle. Au cours de leurs recherches, ils explorèrent la synthèse par modélisation physique (« Physical Modeling »), une piste qui semblait prometteuse.

La modélisation physique est une approche de la synthèse consistant à décrire, sous forme d’équations, les interactions physiques survenant dans la réalité lorsqu’on produit un son. À partir de ces équations, on modélise tout le processus. Prenons l’exemple d’un son de saxophone : il faut bien sûr modéliser le musicien qui souffle de l’air dans l’instrument, la mise en vibration de l’anche par cet air, et l’amplification de cette vibration par le corps de l’instrument, en fonction de ses modes de résonance propres. À l’instar de la synthèse FM, cette méthode est basée sur une approche théorique développée à l’Université de Stanford, dont les recherches fondamentales avaient démarré dans les années 80. Ce n’est toutefois que la décennie suivante, lorsque le développement de nouvelles formes de synthèse devint une priorité, que l’équipe de développement Yamaha se lança dans la Recherche & Développement, dans le but de transformer ces travaux théoriques en une technologie implémentable sur des synthétiseurs.

Il fallut toutes les ressources de l’équipe pour y parvenir, mais leurs efforts furent couronnés de succès avec la mise au point de la technologie Virtual Acoustic (VA), la première au monde basée sur la modélisation physique. Elle apparut pour la première fois dans le synthétiseur VL1, en 1993. Doté d’une polyphonie de deux notes seulement, ce synthétiseur non conventionnel contrastait fortement avec la Série SY et les autres instruments similaires de l’apogée des synthétiseurs, qui offraient tous une polyphonie bien plus importante et étaient capables de produire simultanément les sons de nombreux instruments différents. Pourtant, le VL1 leur vola la vedette, par sa capacité à reproduire, avec un degré de réalisme troublant, les sons d’instruments à vent tels que le saxophone ou la trompette, mais aussi du violon et d’autres instruments à cordes. Pour ce faire, un signal issu d’un générateur sonore, « l’instrument », est traité et mis en forme par un « modificateur », qui intervient sur le son du modèle de l’instrument. Par exemple, dans le cas d’un instrument à vent, l’« instrument » du VL1 correspond à l’embouchure ou à l’anche ; son signal est mis en forme par le « modificateur », qui définit le matériau physique ou la forme de ce qui est modelé.

photo:From VL1 Owner's Manual: Perfect Guide

Extrait du Manuel Utilisateur du VL1, baptisé "Perfect Guide"

Le VL1 proposait une série de paramètres exclusifs, assignables à l’instrument ou au modificateur afin d’intervenir sur leur comportement ou de le moduler. Toutefois, le vrai point fort de ce synthétiseur était son degré de liberté inouï au niveau du jeu. À l’inverse des synthétiseurs du passé, les notes ne se jouaient pas uniquement par l’intermédiaire du clavier et des molettes. Si on modélisait le son d’un instrument à vent, par exemple, on pouvait jouer le VL1 via un contrôleur au souffle (breath controller), envoyant des messages MIDI reflétant la façon dont on souffle dedans. Avec le VL1, le musicien soufflait dans son breath controller pour donner l’expression, exactement comme s’il soufflait dans un véritable instrument à vent ; la hauteur des notes restait donnée par les touches du clavier.

Même si tous les synthétiseurs compatibles MIDI de l’époque pouvaient contrôler le volume du son par l’intermédiaire d’un breath controller, sur le VL1 celui-ci agissait sur les paramètres subtils de la génération du son, au cœur de la modélisation de la trompette ou du saxophone, imprimant des inflexions subtiles au niveau du timbre et de la hauteur en fonction de l’énergie du souffle le traversant. Au final, on obtenait des sons d’un réalisme incroyable : la confusion synthétiseur/vrais instruments était fréquente, et l’instrument attira l’attention dans le monde entier. Parmi les modèles suivants, citons le VL1-m, qui intégrait le module de synthèse du VL1, et un modèle plus abordable, le VL70-m. Même aujourd’hui, ces instruments restent souvent utilisés par les musiciens jouant des instruments à vent électroniques.

photo:The 1994 edition of the VL1 catalog

L’édition 1994 de la brochure du VL1

Outre les générateurs de sons VA de type Self Oscillation (S/VA) utilisés dans le VL1, Yamaha développa également un type Free Oscillation – le F/VA. Le synthétiseur à modélisation acoustique VP1, commercialisé l’année suivante, intégrait ce moteur audio. Le générateur de sons F/VA permettait de modéliser de nombreuses variations différentes au niveau de la frappe, du pincement ou du jeu à l’archet sur les instruments à cordes ou les percussions, mais plutôt que de se limiter à la simulation de sons existants, il pouvait aussi modéliser des instruments inconcevables dans la réalité. Même si les synthétiseurs VL1 et VP1 étaient très avancés technologiquement et d’une grande expressivité, il fallait maîtriser un certain nombre de contrôleurs différents, comme le breath controller, et en jouer simultanément pour obtenir de bons résultats. Ce qui demandait une certaine expérience, assez pointue, de la part des musiciens. Pour cette raison, ces modèles ne rencontrèrent pas de véritable succès auprès des claviéristes conventionnels : ils restèrent des instruments de niche.

photo:The VL1 and VP1 (featured in the 1994 digital instrument catalog)

Le VL1 et le VP1 dans le catalogue « Instruments numériques » 1994

À la merci des problèmes économiques des années 90

photo:VL1-m

VL1-m

photo:VP1

VP1

Dans les années 80, suite au succès de la série DX, Yamaha est alors le chef de file des synthétiseurs numériques. Dans la seconde moitié de la décennie, à l’avènement de l’ère de la synthèse PCM, nous avons développé, avec succès, la synthèse AWM2 avant de passer à la puissante série SY. Tout n’est pourtant pas rose.

L'un des facteurs affectant le plus notre activité était les fluctuations des taux de change entre le yen et le dollar, influençant nos recettes à l’exportation. Lorsque le DX7 fut présenté, en 1983, un dollar US correspondait à 240 yens environ. Lors de la sortie du SY77 en 1989, il ne valait plus que 145 yens, et fin 1991, pour la commercialisation du SY99, il chuta même sous les 130 yens. Ce n’était pas fini : quand le VP1 arriva sur le marché, en 1994, le dollar était tombé sous la barre des 100 yens.

À l’époque du DX7, nous étions fiers de livrer des synthétiseurs de hautes performances à un prix raisonnable aux clients du monde entier. Mais la chute du dollar, synonyme de montée de prix libellés en yens, éroda sévèrement la compétitivité de nos produits dans les années 90. En particulier, les synthétiseurs développés par Yamaha comme modèles d’entrée de gamme se retrouvaient vendus à l’étranger à des prix de milieu voire haut de gamme, hors d’atteinte du budget des utilisateurs à qui ils étaient destinés.

L’explosion de la bulle économique japonaise fit encore plus de dégâts. À partir de 1991, le Japon connut un déclin économique rapide, et les ventes d’instruments électroniques, relativement chers, en souffrirent considérablement. Les autres fabricants japonais subirent le même sort et affrontèrent les mêmes difficultés. Résultat : une simplification des gammes de produits, un partage des fonctionnalités entre plusieurs modèles, et une reconfiguration des gammes avec des produits moins onéreux.

Même si le concept de synthétiseur était né du désir de fournir aux musiciens le même niveau d’expressivité que les instruments acoustiques, les progrès réalisés dans le domaine des technologies d'échantillonnage permettaient désormais de produire facilement les mêmes sons que ces instruments. Par conséquent, le synthétiseur fut progressivement considéré davantage comme une alternative aux instruments acoustiques que comme un outil de création sonore originale. De plus, d’autres innovations facilitaient la comparaison des sons de synthétiseurs de marques différentes à partir de données musicales identiques. Par exemple, le standard General MIDI (GM) fut publié en 1991 : il standardisait la répartition des sons des synthétiseurs en réponse à des messages MIDI. Le standard MIDI File (SMF) constituait un format commun pour échanger facilement des données de morceaux MIDI. Ainsi, les acheteurs de synthétiseurs se concentrèrent davantage sur les différences au niveau des sons produits et de l’adaptation à la production musicale que sur les fonctions de synthèse sonore proprement dites et les possibilités d’expression sonore et de jeu.

photo:W5

W5

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QS300

Tirant les conséquences de cet état de fait, les autres fabricants de synthétiseurs réduisirent les ressources allouées aux développements matériels et aux fonctionnalités, les reportant sur la qualité et la diversité des formes d’ondes au cœur de leurs synthétiseurs PCM. Autrement dit, ils tentèrent de se concurrencer et de se différencier sur la base des contenus numériques, ce qui permit toutefois un développement de ce marché. En réaction à cette tendance, Yamaha chercha à revenir vers l’innovation technologique.
Contrairement aux modèles VL et VP, orientés vers le jeu en direct, nous avons alors travaillé à améliorer les fonctionnalités de production musicale de nos synthétiseurs. De plus, à l’intention des clients pour qui le budget est un facteur important, nous avons présenté notre Série W en 1994, suivie un an plus tard par le synthétiseur QS300 – un modèle compatible avec le standard XG MIDI. Les synthétiseurs de la Série W convenaient particulièrement bien à la production musicale de qualité, grâce à leurs 8 Mo de mémoire réservés aux formes d’ondes -c’était le maximum disponible à l’époque, leurs 6 multieffets indépendants, leur capacité multitimbrale de 16 parties dans toutes les situations et leur compatibilité GM. Contrairement aux instruments de la série SY, ils n’eurent toutefois pas un grand succès auprès des claviéristes professionnels.

Pour sortir de cette ornière, nombre d’idées différentes furent émises : développement de nouveaux générateurs de sons, ajout de fonctionnalités innovantes, améliorations des générateurs de sons PCM, etc. Un grand nombre de nouveaux produits furent ainsi planifiés. Hélas, Yamaha fut incapable de s’adapter aux bouleversements très rapides sur le marché des synthétiseurs et de l’environnement économique global. Nous n’avons pas réussi, alors, à proposer des produits répondant pleinement aux besoins des utilisateurs. Inutile de préciser que tout cela exacerba encore une situation des synthétiseurs Yamaha déjà précaire.

La première moitié des années 90 vit pourtant la commercialisation ou l’évolution d’environ 30 produits différents, parmi lesquels la série SY/TG, la Série EOS B, la série P, la série VL/VP, la série W, le QS300 et le A7000. Avec le recul, il est évident que cette période a vu bien des essais et des erreurs. Alors que nous cherchions urgemment le moyen de surmonter ces difficultés, l’activité Synthétiseurs de Yamaha restait coincée dans une réelle impasse.